1. Contexte et origine du courant de
conscience
Le courant de conscience (ou stream of
consciousness) est une technique littéraire qui cherche à rendre le
flux continu des pensées, perceptions et émotions d’un
personnage. Plutôt que de raconter l’histoire de manière linéaire
ou objective, le récit se concentre sur le vécu intérieur, tel que
le personnage le perçoit en temps réel.
Le terme vient
initialement de la psychologie et de William James, qui parlait de la
conscience comme d’un flux continu d’expériences.
En
littérature, il a été popularisé au début du XXᵉ siècle,
notamment par James Joyce, Virginia Woolf, Marcel Proust et William
Faulkner.
Joyce s’inspire de la peinture : tout comme un
peintre choisit son angle, ses couleurs et ses détails pour
représenter la réalité visuelle, l’écrivain du courant de
conscience choisit ce que la conscience perçoit, les impressions
fugitives, les associations libres d’idées.
2. Caractéristiques principales
- Ce qui distingue la
technique de Joyce et du courant de conscience en général
: Immersion dans la psyché du personnage.
- On
suit non seulement ses pensées rationnelles mais aussi les
impressions sensorielles, souvenirs, émotions, digressions et
associations d’idées.
Exemple : Joyce, dans Ulysse,
montre un personnage en train de marcher, et à travers ses pensées,
le lecteur perçoit les odeurs, les sensations corporelles, les
souvenirs et les réflexions philosophiques.
- La narration
subjective et fragmentée.
- L’histoire n’est pas
racontée de manière objective.
- L’ordre chronologique
peut être éclaté, les transitions entre souvenirs, pensées et
perceptions sont souvent fluides et abruptes.
- Le style proche
de la pensée.
- L’écriture peut être elliptique,
répétitive ou non ponctuée comme un flux mental naturel.
- Le
narrateur externe disparaît souvent, laissant la place à une
narration interne et intime.
Il y a intrusion de l’écrivain
dans la conscience.
Joyce ne se contente pas de copier la pensée brute ; il structure le flux pour qu’il devienne lisible et significatif, créant un équilibre entre réalisme psychologique et art littéraire.
3. Ce que cela a changé dans la littérature
Le courant de
conscience a provoqué plusieurs changements majeurs dans la façon
d’écrire :
- Priorité au vécu intérieur : l’accent
n’est plus sur l’intrigue externe mais sur la perception intime
du monde par le personnage.
- Exploration du temps subjectif : la narration ne suit plus forcément un ordre chronologique strict, reflétant plutôt le temps psychologique ou émotionnel.
- Liberté stylistique : les conventions de syntaxe, de ponctuation et de narration se relâchent pour mieux refléter la pensée.
- Nouvelle empathie : le lecteur est invité à partager directement l’expérience mentale du personnage, créant une relation plus intime.
- Influence interdisciplinaire : les écrivains puisent dans la psychologie, la philosophie et même la peinture pour explorer la perception et la subjectivité.
En résumé, Joyce et ses contemporains ont déplacé le centre de gravité de la narration de l’extérieur observant l’action, à l’intérieur vivant l’expérience, ouvrant la voie à la modernité littéraire et à la littérature expérimentale du XXᵉ siècle.
Et pour terminer voici trois extraits représentatifs du courant de conscience pour Joyce, Woolf et Faulkner.
1. James Joyce – Ulysse
« Une chose après l’autre. Qu’est-ce que je faisais ? Où étais-je ? Mais enfin pourquoi ne pas rester tranquille et respirer ? Oui, respirer. Ah, l’air de Dublin. Le bruit du tram. Le parfum des boulangeries. Tout ça me revient. Pourquoi ai-je oublié ce matin ? »
Ici Joyce mélange perception sensorielle, mémoire et réflexion immédiate.
2. Virginia Woolf – Mrs Dalloway
« Elle marchait, regardant les fleurs, écoutant le bruit de ses chaussures sur le gravier, et pourtant ses pensées s’échappaient vers Peter, vers ses souvenirs d’autrefois, les sensations se mêlaient à la nostalgie et soudain elle se demandait si tout cela avait vraiment eu lieu ou si ce n’était qu’un rêve. »
Woolf montre le flux entre perception externe et pensée intime.
3. William Faulkner – The Sound and the Fury
« Je me souviens du vent, je me souviens de l’odeur de la terre après la pluie, je me souviens de Benjy criant et moi ne sachant pas pourquoi, tout se mélange et je ne peux pas arrêter de penser à maman et au temps qui fuit comme l’eau dans mes mains. »
Faulkner illustre la pensée fragmentée et émotionnelle, souvent chaotique.