Chronique au sujet du livre "Le prince et le pauvre" de Mark Twain

Avez-vous lu le livre « Le Prince et le Pauvre » de Mark Twain ? 

Ce qu’il nous apprend sur l’argent est encore vrai aujourd’hui aussi surprenant que cela puisse paraître ! 

C’est un conte édité pour la première fois en 1881, il a plus d’un siècle, qui se déroule à Londres. 

Il est encore édité par plusieurs éditeurs, les droits de ce livre étant tombés dans le domaine public.


L’histoire se déroule dans le second quart du 16e siècle à Londres.

Deux garçons Tom Canty (l’enfant pauvre) et Édouard Tudor (le prince, l’enfant riche) vivent dans deux environnements complètement opposés. Ils se rencontrent par hasard, vont échanger leurs tenues vestimentaires, ce qui va les conduire involontairement à permuter leur places et donc à changer de vie.


C’est l’idée de base que l’on retrouve dans certaines émissions de télévision du style : « On a échangé nos Mamans » et « Vis ma vie ».

Tom Canty (l’enfant pauvre) sort de sa zone habituelle de promenade, il en dépasse les limites géographiques : « Il n’avait jamais poussé si loin l’une de ses habituelles escapades. Il réfléchit un instant, puis ressaisi par ses pensées, il franchit l’enceinte de Londres. »

Puis Édouard Tudor le jeune prince, curieux, l’aperçoit derrière les grilles du palais royal et ordonne de le laisser entrer.

Quel âge ont ces deux garçons quand leur improbable rencontre se produit ? Une douzaine d’années d’après Wikipédia.


Le profond changement de vie des deux jeunes garçons est conditionné par plusieurs disparités entre l’état de richesse du jeune Tudor et celui de pauvreté de Tom.

Je ne vous en citerai que certaines. Libre à vous de lire cet ouvrage avant-gardiste pour découvrir les autres.


La prmière de ces dissemblance est L’habillement.

Le bébé pauvre gazouille dans des haillons, le bébé riche dans la soie et le satin des tissus précieux.

Plus tard au moment de leur rencontre Tom est en haillons tandis que la tenue d’ Édouard est ainsi décrite : « Sur ses vêtements tout de soie et de satin, des pierres précieuses scintillaient. A son flanc pendaient une dague et une épée dont les poignées étaient constellées de diamants. ».

De plus le style de la tenue vestimentaire entraîne un comportement de respect ou d’irrespect : Le jeune prince Édouard qui a enfilé les haillons de son nouvel ami, sort du Palais et un soldat le prenant pour Tom « lui appliqua au passage une gifle magistrale qui l’envoya rouler sur le sol ! »

« Et maintenant, hors d’ici petite ordure ! ».

Le titre sans l’apparat du code vestimentaire qui va avec, n’est pas reconnu par les autres. Quand le petit prince clame, réclame, déclame à plusieurs reprises au cours de l’histoire, sans son habit royal et hors de son milieu social, ses paroles et ses bonnes manières tombent parterre.


Autre disparité importante : L’entourage humain. Il est très différent pour les deux garçons dans leurs milieux respectifs.

Édouard est rarement seul, il est toujours entouré de personnes prêtes à satisfaire ses moindres désirs : des serviteurs, des courtisans.

Lors de leur première rencontre enfantine « il était entouré de plusieurs gentilshommes, ses domestiques, à n’en pas douter. ». C’est un attribut de pouvoir que l’on observe encore aujourd’hui.

De plus Édouard donne des ordres auxquels on obéit, même si un ordre va à l’encontre de ce qui se fait habituellement.

« Comment oses-tu traiter de cette façon un sujet du roi mon père...même le plus pauvre, même le plus déshérité ? Ouvre la grille et fais-le entrer ! »

Plus loin une demi-douzaine de domestiques s’avancèrent. […] Sur un geste du prince ils s’immobilisèrent et demeurèrent figés sur place, comme autant de statues. »


Cependant l’état de richesse et de pouvoir du jeune prince est accompagné de nombreux devoirs, une lourde charge pour un enfant. Il n’est absolument pas libre de ses faits et gestes. Ce qui caractérise une enfance ordinaire, c’est d’avoir davantage de liberté grâce à la présence et à la protection d’un adulte.

L’enfant devenu adulte devra se tenir, se retenir, se contenir en société de bien des façons.

Voici ce qu’incombe au jeune prince comme devoirs et exigence de perfection :

« Ce jour-là, son programme était chargé. Il devait présider un conseil où serait examinée la politique de l’Angleterre à l’égard de diverses nations disséminées sur toute la surface du globe terrestre, et déclarer solennellement qu’il choisissait Lord Hertford comme lord protecteur. Il devait...Mais tout cela lui semblait insignifiant au regard de l’épreuve qu’il allait lui falloir subir : manger seul en présence d’une foule de courtisans attentifs à ses moindres défaillances… »

Ce qu’a le pauvre et que n’a pas le riche : une plus grande liberté de mouvement, une proximité physique avec les autres : se déplacer librement, se bagarrer, se salir, se baigner dans la rivière.


La classe sociale impose ses codes a un point tel que ne pas avoir les codes dans un milieu est associé à la folie, aussi bien du côté des pauvres que des riches.

Quand Édouard se retrouve dans la famille de Tom et affirme son identité royale, la sœur de Tom dit : « Permettez-lui de se coucher. Le sommeil le guérira de sa folie... »

Quand on est pauvre se comporter comme un riche c’est être fou, avoir la folie des grandeurs. 

Et quand on est riche se comporter comme un pauvre, ce n’est pas mieux. C’est être avarissime. C’est perçu comme anormal.


C’est à cette immuabilité des habitudes établies et des codes, que l’on reconnaît que la richesse ou la pauvreté devient une identité. Or changer d’identité dans la vie réelle (par opposition au cinéma ou à la littérature) c’est très difficile car c’est comme devenir fou.

Lorsque Lady Diana s’est opposée à l’étiquette royale britannique et n’a pas voulu s’y conformer, elle a fini par sombrer dans une dépression dont elle a guéri en quittant les contraintes de ce milieu.


Il existe donc de nombreux freins au changement de condition. 

L’homéostasie sociale est maintenue par les membres du groupe social lui-même.

Tom rêve de voir un vrai prince mais ses camarades le raillent de façon si impitoyable qu’il se promet de garder son rêve pour lui-même.

Quant aux sœurs de Tom, elles fuient l’enseignement du prêtre-enseignant craignant les moqueries de leurs amies.


Alors comment en dépit de tout cela un changement reste-il possible ?

L’auteur a choisi une fin où chacun retrouve sa place ou presque.

Le prince a vécu une sorte d’expérience initiatique de la vie humaine par la souffrance, il régnera différemment avec davantage de clémence. Le pauvre a changé ses conditions de vie, il est sorti de la pauvreté en devenant l’ami et le protégé du roi.


En quoi ce livre est-il en lien avec notre actualité ? 

L’ascenseur social c’est l’idée de progresser vers davantage d’aisance dans la société et l’un de ses principaux ressorts passe par l’éducation qui à la différence de ce conte ancien, est assurée par l’École (mot utilisé au sens large et collectif) depuis la maternelle jusqu’après le baccalauréat, l’université avec ses différentes filières.

Cet « ascenseur social » donne un espoir de sortir de sa condition d’origine.

Cependant aujourd’hui malgré un bon niveau d’études de jeunes adultes peinent à trouver en emploi rémunéré à la hauteur de leur niveau de formation et de leurs espoirs.

Toutefois selon l’INSEE cet ascenseur social fonctionnerait toujours en France.

L'INSEE a comparé les revenus de chaque personne de 28 ans à ceux de leurs parents 10 ans auparavant : 70% des enfants de parents modestes ont grimpé plusieurs barreaux de l'échelle sociale. On constate toutefois des disparités parmi ceux qui parviennent à élever leur niveau de vie. La plupart des personnes concernées sont des hommes, habitant l'Île-de-France et dont l'un des parents est diplômé du supérieur.


Le prince et le pauvre apporte quelques clés d’amélioration à un constat de société figé.

Les choses peuvent évoluer d’abord par la prise de conscience de ce qu’elles sont, de comment elles fonctionnent. Ensuite, il faut opérer les changements souhaitables et souhaités…



René Magritte, « Les Mots et les images »